Entretien Mapra 261

7 décembre

Extraits : « Bloc Notes » Mapra – n° 261 (12.07)

Yi-Ping Yang, portrait et parcours

 

Le concert organisé par les Rencontres Internationales de timbales et Grame, le 7 décembre prochain au Théâtre Kantor de l’ENS-Lettres/Sciences Humaines, sera consacré à la percussionniste Yi Ping Yang, lauréate des rencontres 2006. A cette occasion, portrait d’une musicienne engagée, en pleine aventure artistique.

« Mon parcours est ordinaire, je n’ai rien à dire », ce sont les premiers mots de notre entretien ! Parcours d’une musicienne percussionniste,qui se révèle, au fil des réponses, si déterminée que son histoire en deviendrait évidente, comme animée d’une « force tranquille ». L’histoire d’une jeune aventurière qui a choisi l’exil pour des motivations purement artistiques, un parcours pas si ordinaire… Née à Tainan, ville du sud de Taïwan, Yi Ping Yang se destine tôt à la musique, études de piano et violon, puis pour des problèmes de santé, doit choisir un autre instrument, c’est ainsi que la percussion s’impose à elle même.

Pourquoi la percussion ?


« En percussion, les possibilités de créer sont plus libres, peut-être que j’imaginais me sentir plus utile dans ce domaine… Je pressentais que cet instrumentarium pouvait être davantage tourné vers le 21ème siècle.  Mais l’enseignement que j’ai reçu à Taipei recouvrait plutôt un style académique, de plus le répertoire là-bas n’est pas très développé et le contemporain se confond souvent avec le domaine de la variété ou du spectaculaire. Bien sûr j’apprécie la musique classique et romantique, mais j’ai ressenti en moi, de manière de plus en plus forte le désir de défendre la musique de notre temps…

A Taïwan, on ne parle jamais de musique contemporaine proprement dite, on ne cherche pas à développer ce type de pratique. C’est plutôt des références « Prêt-à-porter », avec quelques morceaux de bravoure dans le répertoire pour orchestre ; mais rares sont les gens qui connaissent les pièces de Xenakis par exemple, c’est pourtant la bible du répertoire de la percussion.

Généralement on attend des percussionnistes du spectacle, voire à l’extrême, du spectacle à paillettes avec de jolies solistes en mini-jupes et talons. Cela fonctionne bien. Le public sort voir un « show », pas pour écouter. Il existe des ensembles très virtuoses de la percussion, mais leurs spectacles sont parfois trop basés, à mon goût, sur des mises en scène flatteuses. C’est un piège qui se referme sur les musiciens qui tendent à répondre aux attentes du public, attentes qu’ils ont eux-mêmes contribué à développer. »

Pourquoi le contemporain ?

« C’est comme une vocation pour moi. Si l’on s’en tient à un art de conservation, il me semble que la musique est moribonde.

Quand je suis arrivée en France, j’ai consacré de plus en plus de temps à l’écoute. Ainsi, l’appréhension du contemporain que je qualifierai de « très avancé » je l’ai rapidement éprouvé ici. J’ai appris beaucoup de Jean Geoffroy qui dirige la classe de percussions du CNSMD de Lyon avec talent et un grand esprit d’ouverture sur le répertoire, ce qui permet à chacun de pouvoir définir la nature de son propre engagement. Pour mettre en pratique cela, avec deux amis Raphael Aggery et Nguyen Mihn-tam, nous avons créé le « Trio Yarn » (le mot vient de la laine avec lequel on fabrique les baguettes, mais cela veut dire aussi raconter une histoire) en 2000. Mais au bout de quelques années, nos voies ont divergé. Donc en 2006, il est devenu indispensable d’entreprendre un itinéraire de soliste.

On dit que le contemporain est froid, mais je ne le pense pas. Au contraire il y a vraiment un spécificité française, avec de fortes personnalités comme Sylvio Gualda, ou le trio « Le Cercle » composé de Jean-Pierre Drouet, Gaston Sylvestre et Willly Coquillat, sans oublier les percussions de Strasbourg ? Chacun exprime des directions originales vis à vis de la scène et de types d’actions qui relèvent du théâtre 0 ; on n’est pas du tout sur un rapport « froid » à la musique, mais au contraire beaucoup de sensations et d’engagements se révèlent. »

A votre venue en France, vous saviez tout cela ?


« J’ai obtenu une bourse pour aller aux USA où les diplômes jouissent d’une meilleure reconnaissance internationale, mais contrairement à de nombreux jeunes, naturellement vite attirés par les États-Unis, j’ai préféré venir en Europe, suivant ainsi les conseils avisés d’un de mes professeurs, Jer-Hui Cheng. J’ai commencé par la Hollande et le Luxembourg, mais compte tenu des diplômes que j’avais déjà, il fallait des études supérieurs que je ne pouvais trouver qu’en France et en Allemagne. J’ai peut-être choisi la France parce que c’est plus romantique…

J’arrive donc à Paris avec mes deux valises et le visa touristique de Shengen, ne sachant pas où aller dormir et ne comprenant pas le français. Je me suis vite trouvée face à moi-même. Mon entourage pensait que je resterai à peine deux ans, puis que je rentrerais au pays. Mais je savais, au fond de moi-même que j’allais rester plus longtemps. »

Et cette relation à la scène, à l’univers littéraire, au théâtre ?


« Pour mois c’est très riche. Le langage littéraire est relié au social, à l’humain. Il m’importe de faire des croisements. On est tellement spécialisé, chacun tend naturellement à s’isoler. Il faut être très professionnel dans sa spécialité, son approche, mais il ne faut pas manquer de culture générale , c’est « être au monde », et ne pas se replier et se réfugier dans son savoir-faire.

Et puis la scène, c’est une expérience sur soi-même. Quand je passe la porte qui m’y conduit, je me sens chez moi. Je pense en toute modestie, à Molière qui a fini sa vie sur scène. Pour moi, être sur scène c’est comme une naissance. »

Une naissance sur scène ?


« Parce que ma vie est faites d’errances ; avant d’être naturalisée française, je n’étais chez moi nulle part, ni à Taïwan où je me sens aussi comme une étrangère, ni en France où je l’étais de fait. il n’y a réellement qu’au moment où je suis sur scène, où je deviens instrument de musique, que je me sens dans mon territoire, en accord avec moi-même.  »

C’est un choix existentiel ?


« Je pourais dire, que je n’ai pas choisi de naître, et que j’ai été condamnée à vivre. Je dois donc chercher pourquoi je suis ici et faire au moins une chose de bien.

Ce rapport à la scène est pour moi évident, car j’ai toujours adoré le théâtre. Je me sentais également en décalage lorsque j’étais à Taïwan où j’avais des difficultés à réaliser ce que je pressentais. Alors j’essayais de voir tout ce que je pouvais, la danse, le théâtre, toutes les formes de spectacles… Il falllait que je vois un ailleurs, que je me projette dans d’autres univers. En France, cette rencontre avec le théâtre a commencé de manière un peu fortuite, une occasion que j’ai saisie, sans trop en mesurer les conséquences et le travail que cela allait me demander. Un jour, on m’a téléphoné parce qu’un metteur en scène, Éric Massé, cherchait une jeune percussionniste. Cela a donné lieu à un mois en résidence aux Subsistances suivi d’une série de représentations. Puis vint une autre rencontre, Gilles Chavassieux qui me demanda de créer un environnement musical autour d’un texte de Laurent Gaudé d’abord, suivi d’autres projets. Et de nouveau Éric Massé et la compagnie des Lumas avec qui je présenterai un spectacle en janvier prochain aux Subsistances, précisément sur le thème de la migrance, sur un texte de Dorothée Zumstein. »

« …C’est autour de l’univers de Yi-Ping Yang que nous construisons « Migrances ». Autour de son instrument, la timbale, et autour de sa vie. À la différence d’autres étrangers, si Yi-Ping Yang a choisi de migrer ce n’est pas pour préserver son intégrité physique mais pour préserver son intégrité intellectuelle… »
Entretien réalisé par James Giroudou (Novembre 2007)